
Protestation des Femen
(photo K. Tribouillard, AFP)
Lorsque je vous ai vues et entendues, Belles, dressées comme les gorgones et les furies du scandale, toutes gorges déployées sous mes yeux spectateurs, hurlantes et passionnées, votre amour du Pape, douces créatures de Dieu, je me suis dit qu’on vous faisait un procès de sorcellerie bien injustifié. En effet, n’est-ce pas une marque d’amour – la plus grande marque d’estime pour Platon- que de vouloir détromper son prochain lorsqu’on le croit dans l’erreur ? Vous hurliez, belles, à tous les saints, votre amour de Gay dans lequel vous trustez avec tant de passion ; vous hurliez, belles, votre amour de la cerise que vous croquez à pleines dents (car vous savez bien, Belles, bien mieux que ces Adams qui rêvent les yeux ouverts, qu’Ève n’aurait pas chuté pour une grosse pomme qu’on n’a jamais vue telle, grossière fantasmagorie d’une Couille jusqu’ici Inédite dans les annales du Rocco Mondain, ourdie par le CPHM[1]). Je vous aime, dis-je, jusque dans votre mauvaise foi, qui vous fait défendre jour et nuit, en krav-magant dur, que la femme en a marre d’être une victime, vous qui vous jetez sur la place publique pour qu’on vous emporte comme des victimes un peu plus loin pour vous faire déguster par le cyclope cathodique (quand est-ce que Ronald, cet affreux clown machiste, sortira donc le McFemen ?).
Je vous aime, Femen, même beuglantes d’hystérie, vous qui savez bien que cette maladie a été inventée par les hommes pour rabaisser encore les femmes, eux qui pensaient que l’utérus des folles leur était monté jusqu’à la tête pour leur manger le cerveau[2] ; parce que c’est comme ça que vous revendiquez le droit des femmes de penser, elles aussi, avec leurs attributs. Je vous aime, Femen, car vos triomphantes poitrines sont toutes à la gloire de la culture, vous qui n’avez pas les seins tristes et pendants de la femme asservie des autres climats, vous qui savez inventer le désir grâce au soutien-gorge, cette serre bienheureuse pour le port du melon comme de l’orange et qui cache aux hommes, ces grands enfants, ces précieuses douceurs comme une mère emballe des cadeaux d’anniversaire. Oui, j’aime vos seins fermes et en bonne santé de mères orphelines d’enfants, oui j’aime, chez vous, cette douce virginité que vous sauvegardez à plusieurs ; je vous aime parce que vos ex suscitent moins la jalousie que le désir, je vous aime parce que vous avez le tact de laisser les hommes tranquilles tout en sachant quel parfait moment convient pour venir emmerder le monde avec panache et spectateurs ! Vos confidences sont grandioses et passionnées, elles exigent publics et foules et ne sont pas avares d’égards et de grands gestes ; vos coiffures savent arborer le dépouillement des Fantines et le furieux désordre des vierges effarouchées. Vos refus sont les vivants rappels que les hommes perdent leur temps, et qu’ils feraient mieux de reprendre ce qu’ils avaient toujours entrepris avec succès, se disputer le pouvoir, la gloire et les honneurs, le Beau et le Vrai, au lieu d’écouter le Tartufe des temps modernes qui exige de violer l’intime, partager l’exclusif, dilapider le cœur, brûler les âmes, trahir les serments et les aveux. Je vous aime, Femen, car vos exhibitions sont philosophes, vous qui savez que ce sont les hommes, qui, par leurs baisers amoureux, ont inventé les seins, que les enfants avides et tyranniques voulaient réduire à deux pis de vache; vous qui avez besoin de chahuter le désir de ceux qui vous ont délaissé pour le célibat et la sérénité des amants de l’Église, vous qui savez bien que c’est en face de l’altérité que se fonde l’identité, que c’est par le double jeu du constat de la différence et du semblable que chaque être éprouve sa singularité !
Car ces sœurs, mes chers frères, ne se sont égarées que pour avoir trop voulu aimer, certes à leur façon un peu particulière, certes, avec fracas, certes exclusivement, ce qui leur ressemble, mais elles ont le courage de montrer tout le malentendu qui divise les sexes depuis qu’Adam et Ève se disputent pour savoir qui a péché le premier. Quelle démonstration de ferveur, certes maladroite et un peu excessive, envers notre saint Père, et quel exemple pour ces trop timorés fidèles qui le désavouent si souvent devant leurs propres amis !
Mes frères, au lieu de vous juger les uns les autres, Aimez-vous les uns les autres, en vérité, sachez que ni l’homme ni la femme ne sont ni supérieurs ni égaux, mais que seul le bien est aimable, aimez avant tout chez l’autre, son Bien et son Salut, car l’on arrive à l’amour grâce à Dieu, et l’on ne peut arriver à Dieu sans l’amour. Car l’homme et la femme ne sont frères et sœurs que dans le solidaire amour d’un Créateur qui les unie comme un père chérie ses enfants.
Mais si vous ne vous faites pas complices dans l’amour de la recherche du Vrai, du Beau et du Bon, engeances au goût corrompu qui mollissez jusque dans la vertu, poursuivez au moins le vice avec intelligence : génération du Dernier Homme pour qui noblesse, honneurs et pouvoir n’ont plus aucun sens, vous qui êtes médiocres jusque dans le vice, vous qui vous baignez chaque matin dans l’amour de la servitude et le dégoût de soi, tâchez au moins de garder votre raison éveillée et vigilante, car quoique fussent vos errances, si vous avez encore la raison, ce cœur battant de douceurs et de compréhension, vous pourrez encore apercevoir au carrefour de votre existence le chemin de la Rédemption, vous qui croyez à la mort éternelle pour avoir si souvent vécu cette mort passagère qui a nom volupté, peut-être croirez-vous à la Vie bienheureuse des saints accomplis, vous vous desséchez d’une soif qu’aucune ivresse ne peut étancher, peut-être entendrez-vous l’appel irrésistible de la prière et découvrirez, comme un nouveau-né au premier jour de sa vie, l’extase ineffable de la bouleversante signifiante du Verbe universel !
Iraes Cintraprado
[1] Complot Phallocratique Mondial Universel, théorie développée aux Etats-Unis au sein des études du genre, qui postule que 12 hommes gouvernent le monde depuis 6 000 ans depuis une cave au Texas.
[2] Théorie médicale en vogue jusqu’au développement de la psychologie de l’aliénation au XIXe siècle.