La Danse et la Transparence ? (ou jusqu’où ira la transparence en politique ?)

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La danse, Henri Matisse, 1909-1910.

« Il n’y a, dit Zadig, qu’à faire danser tous ceux qui se présenteront pour la dignité de trésorier, et celui qui dansera avec le plus de légèreté sera infailliblement le plus honnête homme ».

Zadig ou la Destiné, de Voltaire, 1747.

« Le Grand Déballage » : c’est la danse à la mode aujourd’hui. Chacun y va de ces petites contorsions, on roule du popotin, pour mieux masquer ses grosses poignées d’amour, son ventre plantureux. Voyez-vous, j’ai regardé la farce médiatique de cette dernière semaine avec tendresse. D’abord, parce qu’à les voir tous défiler, un a un, devant les caméras à faire leurs courbettes, les Montebourg, les Fillon, les Duflot, les Wauquiez … et oui, même Wauquiez, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à un mauvais vaudeville ou aux si charmantes prestations des Guignols, au jardin d’acclimatation.

Ensuite, j’ai bien aimé l’histoire du référendum sur le « choc de moralisation » de la vie politique. Etant gosse à Guignol, il y avait aussi des référendums improvisés. « Vous voulez que je vous débarrasse du grand méchant, les enfants » ? Tous en choeur : « Oui ! » Plus tard, il sortait son gros bâton et lui tapait sur le crâne, au méchant. Un peu comme avec Cahuzac. Ah ! la big stick policy, rien de tel ! Surtout quand il s’agit de copier le puritanisme à l’anglo-saxonne. C’est ce qu’a cru comprendre notre cher Président, tapant du gras sur la table : à partir de maintenant, « le changement c’est chacun qui va rendre public son patrimoine ».

On se dit : l’idée est excellente ! Que n’a-t-elle pu poindre plus tôt en son front disgracieux ? Avec un telle mesure, Cahuzac aurait déclaré à la presse son compte à la UBS, transféré à Singapour, et il n’aurait pu devenir le ministre du Budget en charge de la fraude fiscale. On rit. Jaune. Il n’empêche que depuis cette annonce, c’est à qui devancera l’appel. Ah, ces premiers de classe, ils ne changeront jamais ! Que voulez-vous, c’est une question de réflexe,  d’ultime révérence au tribunal médiatique.

Sans les quelques protestations effarouchées d’une Nadine Morano, la pitié aurait vite, pour nous, supplanté la tendresse. Par chance, la palme de l’ironie revient sûrement à Jean-Luc Mélenchon, qui a pris soin de nous renseigner sur les détails de sa corpulence dans sa déclaration de patrimoine. Notons qu’il a omis de préciser les mensurations, taille et poids, de ses organes procréateurs. Les bijoux de familles sont, il est vrai, un patrimoine fort précieux pour nombre de nos confrères. C’est pourtant ce que proposait le tonitruant Monsieur le député Gilbert Collard, affirmant être prêt « à enlever le bas ». Monsieur Collard, je vous crois assez malin pour en avoir une paire de rechange en Suisse, aux fraîcheurs helvétiques.

Après tout, dans un pays où l’échec est stigmatisé et la réussite suspecte, il n’est pas étonnant de voir vénérer sous cette forme la transparence, onction suprême de la démocratie made in France. Plaisanterie mise à part, en plus d’être risible, le bal des vrais-faux-tartufes a quelque chose de naïf. Le grand déballage médiatique s’est transformé en une course au plus pauvre, sous les yeux médusés des téléspectateurs et les quolibets des internautes. On est vraiment dans du théâtre au sens brechtien du terme, tant le Verfremdungseffekt[1] est brutal.

Devant leurs pirouettes malhabiles, je n’ai pas pu m’empêcher de penser au bon Roi Nabussan, fils de Nabussanab, priant Zadig de lui trouver un « trésorier qui ne [le] vole point ». « Il n’y a, dit Zadig, qu’à faire danser tous ceux qui se présenteront pour la dignité de trésorier, et celui qui dansera avec le plus de légèreté sera infailliblement le plus honnête homme ». N’est-il pas attendrissant de les voir se gondoler si grassement, « la tête baissée, les reins courbés, les mains collées à leurs côtés », comme on lit dans Zadig ? Chacun y allant de son petit refrain sucré sur la moralisation. Très précis sur la valeur d’une 4L achetée y a dix ans, mais plus évasif sur leur appartement de cent mètres carrés à Paris. Ce dont tout le monde par ailleurs se fout. Certains ne danseront que sur ordre ; ainsi, les Copé. D’autres s’y sont employés pressement. On ne peut même pas dire : « Jamais on ne dansa plus pesamment et avec moins de grâce », car apparemment, c’était déjà le cas du temps du bon roi Nabussan et des soixantes-trois fripons, se présentant pour être trésorier du roi à la place du trésorier du roi. Mais Hollande n’est pas Nabussan, et Ayrault n’est pas Zadig.

Un premier ministre insipide qui se pose en héraut de la transparence, ça ne manque pas de sel. Si seulement la transparence n’était qu’une diversion politique du gouvernement ! Mais la transparence politique, ils y connaissent un rayon. C’est presque devenu un concept, tant la politique est de plus en plus figurative. Il faut dire que l’on a la chance d’avoir un Président et un gouvernement on ne peut plus transparents. Exemplaires en la matière. Leur parole ne vaut plus rien. Ils sont inaudibles, translucides, vaporeux. En action : Hollande manie les coups d’épée dans l’eau avec brio. C’est quand même moins dangereux que les moulins à vent ! Vive la transpafrance ! Bref, la république du cellophane …

Jean-Suie Fortaise


[1] Effet de distanciation ; mais Verfremdungseffekt ça fait bien.